Des pointes à 27 nœuds sur des montagnes russes
« Cet archipel des Açores siège fièrement ici au milieu de l'Atlantique Nord, à la fois garde sécuritaire des portes de l'ouest et échappé des profondeurs bouillonnantes du rift Atlantique », décrit Nicolas Boidevezi de Tohu-Bohu dans son message du bord. Pas avare de jolis mots pour faire le récit de la transat, c’est à l’heure du déjeuner dominical que le coéquipier de Bertrand Guillonneau a débordé à son tour sur tribord, en 9e position, la plus méridionale de ce chapelet d’îles, théâtre d’un épisode clé et musclé de la course.
Près de 17 heures plus tôt, en début de soirée samedi, le leader, Acrobatica, avait ouvert le bal des passages à cette marque de parcours. Il était alors suivi un peu plus tard (+1h30 environ) par Groupe SNEF, revenu en force ces dernières heures, à une poignée de milles, dans les pointages.
En mode fortissimo
Ces leaders naviguent sur le mode fortissimo, qui semble faire leur marque de fabrique dans ces conditions sans concession. Ce dimanche, l’essentiel de la flotte poursuit sa cavalcade océanique dans les vents puissants générés en bordure d’une dépression que la majorité de la flotte aborde, au portant par sa face nord. Après de sollicitante et longues heures de navigation, les bateaux se rapprochent désormais du centre dépressionnaire, « avec le renforcement du vent d’Est à partir du dimanche 6 heures jusqu’à lundi matin, des rafales estimées jusqu’à 44 nœuds, des grains et une mer formée de 5 mètres », selon les prévisions de Christian Dumard, consultant météo de l’organisation de la course.
27,5 nœuds qui dit mieux ?
Depuis 24 heures déjà, les dix équipages sont à pied d’œuvre pour faire le gros dos au passage de cette dépression qui gonfle les muscles au fil des heures. « On a fait une nuit productive mais hyper sollicitante. On a calmé le jeu, car ça devenait vraiment trop chaud », raconte Pierre-Louis Attwell, skipper de Vogue avec un Crohn. « L’idée, c’est trouver le bon équilibre entre la performance et la sécurité ; pour nous et pour la suite car le bateau est hyper violent et, mine de rien, tu peux vite te mettre en vrac ; et l’objectif c’est de ne pas casser », souligne celui pointe en 3e position, à moins de 50 milles des premiers.
Derrière, ses poursuivants ne sont pas en reste. « On se fait bien, bien secouer, c’est la machine à laver dans les déferlantes et le bateau qui tape dans les vagues (…), c’est ambiance sous-marine », décrit le skipper antillais Kéni Piperol, hilare à la barre, après une nuit de folie, pointe de vitesse à 27 nœuds à l’appui. « Ça fuse », raconte Thomas Jourdren à l’abri du cockpit, alors que Captain Alternance, 4e à moins de 50 milles, progresse entouré de « vagues comme des montagnes russes. »
Le bon sens marin en éveil, Xavier Macaire, qui réduit l’écart avec le leader au fil des pointages, donne la mesure des conditions rencontrées : « Il fait tout gris et la mer est ENNORME c’est magnifique, mais un peu effrayant quand le bateau dévale des pentes à plus de 22 nœuds et qu’il plonge sous une vague. On a bien réduit la toile, mais ça reste tout de même impressionnant. » Il enregistre des records aux tablettes de son Groupe SNEF : « une inclinaison de tangage plongeante, dans une vague, de 21 °, ainsi qu’une vitesse vue au GPS à 27.5 nœuds ».
Deux courtes escales, et ça repart…
Au nord de l’échiquier la course se poursuit aussi de plus belle pour Amarris, qui a réussi le tour de force de se mettre à l’abri cette nuit au port de Santa Maria. Quatre heures plus tard, soit le minimum de temps d’escale autorisé par les instructions de course, il repartait en course. S’ils concèdent désormais 128 milles sur les leaders, Gildas Mahé et son équipage n’ont certainement pas dit leur dernier mot. Tout comme le trio de La Manche Évidence Nautique, qui s’est affairé dans la marina de Santa Maria le temps d’un arrêt au stand rondement mené pour ne pas dépasser le forfait des 4 heures réglementaires. À 12h49 ce dimanche, le bateau normand larguait les amarres qui le retenaient à terre pour opérer une réparation express.
Panne de vent aux Canaries
Il n’y a en effet pas de temps à perdre. La route est encore longue, et ce n’est pas les partisans de l’option sud qui diront le contraire. Comme le redoutait Thomas Rouxel, qui se désespérait hier à la lecture des derniers fichiers météo, alors que sur l’Atlantique, la dépression qui circule dans le milieu de l’Atlantique « aspire aussi les alizés ». Pas étonnant donc de voir ce dimanche Everial et Dékuple privés d’air sur une mer d’huile aux détours des îles Canaries, et les écarts en milles se creuser considérablement (+650 ce dimanche).
Mais dans la grande l’orchestration des systèmes météo, la journée de mercredi pourrait s’annoncer cruciale. Elle promet en tout cas de renverser la tendance avec un ralentissement général en tête de flotte, cumulé au retour d’un flux de sud-est solidement établi sur le route du sud. Sur le point de passer sous la barre des 2000 milles restant à parcourir jusqu’à l’arrivée, les premiers sont aujourd’hui attendus dans la journée du 22 avril à Marie-Galante.